Et si la véritable origine des rituels maçonniques n’était pas une date… mais un besoin humain intemporel ?
Lorsque l’on étudie un rituel en particulier, il est souvent difficile d’en trouver une origine unique, une source première qui met tout le monde d’accord. Si les réponses sur l’aspect historique ne nous satisfont pas, elles ont la vertu de nous éclairer sur l’histoire avec une vue d’en haut et de nous apporter une véritable culture, lucidité sur notre pratique. Combien la phrase de notre Frère est juste lorsqu’il dit qu’il n’y a pas de Franc-maçonnerie mais des francs-maçons.
Comprendre les origines maçonniques par la méthode pluridisciplinaire
Longtemps, les récits historiques ont été écrits dans un style linéaire avec pour but de légitimer ou justifier une autorité. Depuis le XX siècle, les méthodes ont changé et les historiens ont modifié leur manière d’étudier et d’écrire l’histoire. L’histoire ne s’écrit plus de façon chronologique comme un enchaînement de dates avec de grands conquérants, mais avec une méthode scientifique pluridisciplinaire par l’étude des faits, des jeux d’influences et une prise en compte de tous les contributeurs, du plus illustre empereur au plus simple paysan. Si j’explique cela, c’est parce que je me rends compte que la plupart des ouvrages ou articles que j’ai pu lire ou parcourir sur l’histoire de la maçonnerie cherchent à comprendre les origines de notre ordre par une succession de grandes dates et « d’influenceurs plus ou moins VIP », comme pour dire voilà nous sommes les descendants d’un tel et ainsi justifier notre ordre en lui attribuant « prestige et honneur ».
Il y a des dates marquantes : 1390, 1410, 1598, des personnes aussi : Morin, Ramsay, etc… Leur rôle a été déterminant mais ce serait se voiler la face que s’y limiter au vu de l’ampleur du mouvement maçonnique des XVIIe et XVIIIe siècles dans toute l’Europe et des influences multiples.
La recherche de l’origine, en un lieu précis, à une date précise et par un groupe de personnes identifiées me semble soit vouée à l’échec. Cette démarche est utopique et nous renvoie à la recherche de la parole perdue. Mais c’est humain, la question est toujours la même ! C’est notre fardeau, ce besoin insatiable de connaître nos origines en se persuadant que cette naissance, cette création est unique, un peu à l’image de notre naissance ici et maintenant et une fois pour toutes. Un « qui sommes-nous », sans jamais trouver de réponse et dont le point de départ recule à chaque découverte.
Ce biais cognitif est-il lié à notre culture, à notre éducation judéo-chrétienne, ou est-ce un biais lié à notre individualité et psychologie… Cette recherche d’origine serait-elle une recherche de sens qui répondrait à notre raison d’être… et s’il n’y avait aucune raison… et si le monde n’avait pas de sens ?
Pourquoi nos sociétés ont encore besoin d’initiation
Aujourd’hui, la question qui m’intéresse dans l’étude historique d’un degré en particulier et de la Franc-maçonnerie en général, c’est de comprendre le besoin auquel répond la Franc-maçonnerie, le rituel, le degré ? Quelles sont les influences qui alimentent le récit, qui le justifient, le diffusent ?
Le besoin auquel répond notre démarche diffère certainement d’une personne à l’autre mais il y a bien une base, un socle, une idée qui nous rassemble dans cette recherche individuelle et collective.
Quel rapport peut-il y avoir entre nos aspirations actuelles et celles des cherchants Francs-Maçons des siècles passés. Plusieurs centaines d’années nous séparent, les pratiques, bien que traditionnelles, ont évolué… nous en sommes les héritiers. Nous utilisons les mêmes symboles, mots et gestes alors que le monde a totalement changé en quelques centaines d’années. L’industrialisation a bouleversé nos sociétés, les progrès de la science ont permis une révolution des connaissances, de la médecine favorisant une explosion démographique. Avec toutes ces transformations, en quoi notre monde a-t-il encore besoin de ce type de structure initiatique. Les sciences, les technologies, la diffusion des savoirs, n’effacent pas l’envie des cherchants malgré toutes les réponses qu’elles apportent. Nombre de fondements religieux s’effondrent face aux lois de la physique, de la biologie ou de la psychologie.
Je faisais allusion plus haut à notre démarche individuelle et collective. Je pense que ces deux points sont importants. Je vous propose un saut dans le temps.
Au Moyen-Âge, et peut-être même avant, les métiers s’organisent en corporations. Ces artisans et ouvriers… se structurent avec une règle, une culture, un patronage, des croyances, des histoires et légendes, une culture riche de traditions et de chansons. Ces groupes sont une solution innovante d’un point de vue social. À cette époque nous sommes dans un système féodal. Pour faire simple, un paysan travaille la terre pour le compte d’un seigneur qui en contrepartie le protège et lui donne de quoi vivre. Au même moment, les artisans et ouvriers bâtisseurs se concentrent dans les villes et se déplacent de chantiers en chantiers. Sans terre ni protection d’un seigneur, ils n’ont que leur connaissance, leur force et savoir-faire pour subvenir à leur besoin. Ils s’organisent alors en corporations de métiers, ce qui leur assure une protection et leur garantit de quoi vivre notamment dans les moments difficiles. L’idée innovante dans cette solution c’est la communauté avec des valeurs dont la fraternité que l’on retrouve dans nos loges. C’est certainement aussi les prémices de ce qui deviendra bien plus tard, les mouvements associatifs, mutualistes, syndicalistes, et par extension la sécurité sociale et l’assurance chômage…
Foisonnement culturel et luttes d’influences des grades
L’anthropologue français du XXe, Georges Dumézil, dans ses études sur les civilisations indo-européennes, a montré qu’elles se fondaient sur une vision de la tripartition des fonctions sociales. Il distingue la fonction de puissance combattante et de la force physique, celle de la fécondité et de la production de richesses et celle du pouvoir spirituel, de la sagesse.
Cette tripartition se retrouve dans l’organisation sociale du Moyen-Âge jusqu’à la Révolution. Vous l’avez tous appris à l’école, la société est structurée en 3 parties, le Clergé, la Noblesse et le Peuple ou Tiers Etat.
Est-il possible de retrouver un lien entre cette structure sociale et l’organisation des ateliers Maçonniques ? Je pose cette question car il est fréquent pour les loges bleues de parler d’initiation artisanale et pour les Hauts-Grades d’initiation chevaleresque et d’initiation sacerdotale. Les Hauts gades seraient-ils nés d’une volonté de se distinguer les uns des autres. L’inspiration et les valeurs de la Chevalerie seraient-elles le témoin d’un idéal perdu, d’un regain romantique de la part de l’aristocratie face au pouvoir Monarchique. Serait-ce une réaction face à un nouveau monde avec notamment l’émergence de la bourgeoisie. Ou à l’inverse les Hauts gades seraient-ils l’occasion pour cette même bourgeoisie de s’approprier des codes et des valeurs dans un monde où leur influence est en pleine expansion au travers des lumières par exemple dont ils sont les mécènes.
La vérité est un peu dans tous ces regards. Il me semble que les Hauts gades sont le témoignage d’un foisonnement culturel, de brassages et de luttes d’influences religieuses (protestants/catholiques), politiques (France/Angleterre), diplomatiques (impérialisme colonial). Les contributions sont nombreuses hermétistes, alchimistes, kabbalistes, spiritualistes, rosicruciennes,… Mais finalement il y a très peu de bâtisseurs, d’artisans, ouvriers… leur influence se limite-t-elle à la structure communautaire et fraternelle ?
De ce fait, est-ce que le terme de Franc-Maçon est bien adapté aux Hauts gades. C’est un terme un peu fourre-tout qui désigne une communauté initiatique travaillant dans un but collectif. Dans ce sens la Franc-maçonnerie est-elle un objectif ou une pratique ? Je comprends mieux l’idée qu’il n’y a pas de Franc-maçonnerie mais des francs-maçons.
Le rituel comme pont entre inconscient et monde
Pour étudier un degré en particulier, j’ai eu l’audace de faire des recherches bibliographiques pour essayer de découvrir quelques pépites. Je reste très lucide sur la difficulté à trouver de vraies sources brutes et à avoir les outils intellectuels pour pratiquer une analyse paléographique, historiographie pour comprendre les documents disponibles.
J’ai commencé par fouiller dans les documents historiques à ma disposition.
J’ai aussi beaucoup surfé pendant ces recherches et finalement, je suis revenu à notre rituel.
En fin de compte, ces recherche m’on conduit à la réflexion suivante.
L’homme est un être d’histoire et de mémoire. Il se raconte des récits, en invente, les transmet. C’est aussi un être qui a besoin de comprendre le monde qui l’entoure. Lorsqu’il ne le comprend pas il utilise un outil pratique : le mythe. Le mythe explique et fait comprendre le monde, l’univers. À la différence des religions qui présentent les symboles comme des faits historiques, la mythologie utilise les symboles comme langage qui communique les messages de l’inconscient vers le conscient. Les symboles sont des énergies dont l’impact émotionnel oriente la compréhension et connecte notre esprit avec le monde, notre intérieur avec l’extérieur. Le rituel est là pour ouvrir notre conscience. Si certains symboles mythologiques évoluent dans l’espace et le temps, les références spirituelles restent les mêmes, la nature humaine reste la même depuis des millénaires.
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