
Le symbolisme du triangle maçonnique relie géométrie, nombre et quête spirituelle. Trois angles, trois côtés, un centre : cette figure simple devient une porte vers les grandes traditions, l’hermétisme et l’initiation maçonnique. Nous poursuivons ici la republication d’articles précédemment publiés dans notre revue papier L’Olivier n°5.
Sous quels angles aborder le mystère du triangle ?
Par quel côté, sur quel sommet, sous quel angle aborder les réflexions que cette figure géométrique – hautement présente dans nos Temples – peut inspirer ? Par ses aspects physique et symbolique ? Sur le contenu traditionnel et métaphysique qu’elle sous-tend ? Ou sous l’angle, si particulier, de la franc-maçonnerie ? Dans ces trois cas de figure, l’homme lui a conféré une dimension spécifique…
Et si ce cheminement, qui consiste à partir du concret pour arriver à l’inexpliqué – voire à l’occulte – en passant par le spirituel, s’imposait comme celui qui, alliant raison, abstraction et terres inconnues, s’offrait à nous comme démarche logique ?
Le triangle, matrice des formes géométriques
Abordons, en guise de liminaire, le tracé, la forme, la matérialité de cette figure. Rappelons-nous : hypoténuse, sinus, cosinus, tangente, cotangente… Autre constatation, contrairement au carré, au cercle ou au rectangle (parfois appelé « carré long »), le triangle et ses angles se voient souvent qualifiés d’épithètes diverses : aigu, obtus, droit, isocèle, équilatéral, scalène. Le rectangle, partagé par une diagonale, forme deux triangles rectangles et quatre triangles isocèles lorsqu’il est coupé par ses deux diagonales.
Le losange prend forme lorsqu’on accole deux triangles par leur base et le trapèze en complétant le carré ou le rectangle par deux angles droits sur les côtés opposés.
Quant aux pentagones, hexagones, octogones ou polygones quelconques, chacun pourra tout à loisir calculer combien de triangles il sera nécessaire d’ajouter au carré, ou au rectangle… ou à rien, pour les constituer.
Du triangle au 3 : alchimie des nombres
Poursuivons. Pour constater que la somme des angles d’un triangle est égale à… 180 degrés. Ici nous entrons dans un autre domaine. Celui de la symbolique. Franchissons-en le pas.
180 : 1+8 = 9
1 comme l’unique, l’unité, la référence et le 8 de l’être complet, matériel et spirituel. L’équilibre parfait (le 8 horizontal, le lemniscate, représente l’infini, les caractères sans fin de la vie). Ou encore 9 : 3 fois 3 ou trois fois le tour du triangle. Tri-angle : figure fermée possédant 3 angles, 3 côtés, 3 sommets. Mais plutôt que de se perdre dans les mystères, abordons cette représentation sous l’éclairage de la numérologie. 3 se forme en additionnant 2 à 1 ou 1 à 2. 3 : nombre de l’accomplissement. L’enfant est issu de l’union du + et du -, de l’homme et de la femme. Tout comme la Vérité peut surgir de l’accumulation d’un Bien et d’un Mal. Par extension, 3 est considéré comme le signifiant de l’équilibre des forces, bonnes et mauvaises, qui régissent l’Univers. En élargissant le concept, il devient la matérialisation de la Divine Trinité et de la création.
Nous n’alourdirons pas la réflexion par l’explication des trois premiers multiples de 3, 6 (3×2), 9 (3×3) et 12 (3×4). Nous soulignerons, à titre indicatif, que 12 symbolise la roue du temps, la globalité du Cosmique, le Tout. Tel l’Ouroboros qui se régénère en se nourrissant de sa propre substance.
Le ternaire universel : Tarot, Kabbale et hermétisme
La consultation des lames majeures du Tarot, au nombre de 22, tout comme le nombre de lettres dans l’alphabet hébraïque – base de la kabbale –, nous apprend que la lame 3 correspond à l’Impératrice (et à Dalet), et la 12 au Pendu (et à Mem).
Tarot et kabbale relèvent, en apparence, de « sciences » ou domaines totalement étrangers l’un de l’autre, bien que des essais aient été tentés pour les relier. Toutefois, l’on ne manquera pas d’être frappé par quelques similitudes, probablement dues à la mise en œuvre, par l’homme, depuis fort longtemps, pour tenter de comprendre la création, sa place dans celle-ci et, à travers elle, l’éventuelle présence d’un horloger dans la machinerie cosmique. Prenons un exemple.
Dans le Tarot, le 0 (Mat, fou ou vagabond), bâton à la main, va partir dans une quête de trois cycles de sept étapes, s’il la mène à son terme. En matière de Kabbale, le même cherchant devra s’efforcer d’assimiler les imbrications qui lient les 10 Séphirot, dans l’arbre aux trois colonnes (rigueur, équilibre et miséricorde), entre Malkuth et Kether. Avant de tenter d’aborder « Aïn, Aïn Soph, Aïn Soph Aur », zones en demi-cercle qui chapeautent la couronne.
Se pencher sur ces arcanes requiert patience et humilité, même pour qui veut s’y pencher de façon superficielle. De même pour tout ce qui touche à la science d’Hermès, le Trismégiste. Très rapidement le nombre 3 s’imposera au cherchant comme la base incontournable, comme préalable à toute recherche.
Le nombre 3 se concrétise dans le soufre philosophique (rouge), le mercure (bleu), et le sel. Le soufre, première pierre (ou principe) permet de réaliser les deux autres (ou médecines) : l’Elixir (or potable) et Pierre Philosophale (ou Pierre Absolue, ou encore Médecine Universelle).
Numérologie, Tarot, kabbale, hermétisme… Axes de recherches parmi tant d’autres. Y compris ceux venant d’Asie, comme la Tao. Tao, 3 lettres: Tau, Alpha, Omega. Coïncidence dans la traduction du Chinois ?
Plus prosaïquement, et pour clore cette première partie, il est possible de se contenter de percevoir uniquement dans le triangle : bien penser, bien dire, bien faire ; passé, présent, avenir (représenté par les Égyptiens par deux lions se tournant le dos, un cercle entre les deux); naissance, maturité, mort; corps, esprit, âme; avoir, être, faire ou pensée, parole, action.
Mais peut-on raisonnablement espérer « faire le tour » d’un symbole aussi riche en interprétations ?
Le ternaire sacré au cœur des religions
Traditions et religions ont, largement été sensibles au triangle et au nombre 3 puisque la plupart d’entre elles en ont fait le maillon essentiel de leur transmission ou leur support théologique premier. Par exemple, la religion catholique, apostolique et romaine, présente l’unité en trois manifestations: le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Conception nettement rejetée, donc « hérétisée » par nombre de croyants, dont les Cathares. De même, le fils (Jésus-Christ) – incarnation du Verbe, qui baptise par le Feu – est annoncé par le premier Jean-le-Baptiste (qui purifie par l’Eau) et son enseignement ésotérique (air) se transmet par un autre Jean (dit l’Évangéliste). Le 3 s’inscrit à nouveau dans la doctrine, comme pour confirmer et asseoir le dogme fondateur de cette religion.
En cela, l’Église romaine – qui prétend à l’universalité et à l’officialité – ne fait rien d’autre que perpétuer des vénérations bien plus anciennes. Osiris, Isis, Horus (qui appartiennent à une ennéade symbolisant l’Univers), en Inde : Brahma, Vichnou, Siva : Esprit, Verbe, Sagesse (Gnostiques) ; force qui engendre, matière qui conçoit, matière conçue (Platoniciens) ; Intelligence, Verbe, Esprit (Sages d’Alexandrie). Enfin, les rosicruciens considèrent le 3, issu du Noûs (énergie créatrice universelle) comme le nombre de la manifestation de cette force et de la création parfaite. L’unité naît de l’équilibre entre le + et le -, du point de jonction entre l’évolution et l’involution, entre la verticalité et l’horizontalité.
La notion de ternaire, principe actif et créateur de toute chose ou attribut d’une unité en trois expressions différentes et complémentaires, semble donc présente, depuis la nuit des temps, dans l’esprit humain. La chaîne ne semble pas avoir subi d’interruption jusqu’à l’avènement de la « révolution monothéiste » moderne.
En son temps, saint Augustin ne reconnaissait-il pas : « ce qu’on appelle aujourd’hui la religion chrétienne n’a jamais cessé d’exister depuis l’origine du genre humain ». Plus catégorique, Léon X assènera : « Il nous a bien servi ce mythe du Christ ». Sans commentaires.
3 pourrait-on encore dire – 3 comme les Rois Mages, 3 comme la Triple Alliance de la Lumière (Graal, Templiers, Cathares, Croix aux Roses), chère à Antonin Gadal (néo-gnostique Ariégeois), 3 comme la transfiguration des 3 mondes : physique ou terrestre, animique ou astral, divin ou spirituel. À chacun le loisir de poursuivre dans ses propres aspirations…
La voie maçonnique : symbole vécu et renaissance
Abordons dès à présent le troisième et dernier volet de ces spéculations par quelques considérations d’ordre général concernant la franc-maçonnerie. À la fois Église (du latin ecclesia : assemblée) et religion (religare ou relegere) qui vise à rassembler les esprits chercheurs afin qu’ils accèdent à une communion de type égrégotique, elle fonctionne, comme nombre de traditions et de religions passées ou actuelles, sur deux piliers que sont : le rituel et la symbolique. Plus, ce qui fait la spécificité des sociétés initiatiques authentiques : l’initiation.
En cela, la franc-maçonnerie diverge fondamentalement de toute forme de système basé sur le dogme. Là où il est demandé d’accepter telle quelle une vérité – fut-elle révélée – , l’initiation – rite de passage – requiert une démarche volontariste et une remise en question de la part du postulant. Si le symbole, en l’occurrence le triangle, se perçoit objectivement de la même façon dans les deux cas, il se « lira » et se « vivra » intérieurement tout à fait autrement. Ici, rien n’est accepté « de facto ». Il faut du courage pour tuer le vieil homme, pour renaître, se déstructurer pour se reconstruire. « Qui se connaît soi-même, connaît le Tout » nous dit le Trismégiste. Entre l’Alpha et l’Omega, il faudra, patiemment, apprendre à épeler avant de lire et écrire.
Du V.I.T.R.I.O.L. au Triangle sublime
Pour nous former, nous devrons nous réformer pour mieux nous transformer.
Le récipiendaire est prévenu très tôt, dès son entrée dans le cabinet de réflexion. Il ne progressera jamais en simple curieux. Par contre, s’il intègre V.I.T.R.I.O.L… Une formule qui se décompose en 3 parties : visiter son intérieur, rectifier, la découverte (Lumière). « Connais-toi toi-même et tu connaîtras l’Univers et les Dieux ». Pendant ce temps, le coq, symbole d’Hermès, surveillera l’approche que le postulant aura envers le soufre, le mercure et le sel ; de quelle façon s’opèrent ses premiers pas vers l’Art Royal. Premier stade donc pour le néophyte : immersion dans l’obscurité. Succéderont le passage, le franchissement, les épreuves et les 3 voyages. Et enfin, la Lumière donnée. 3 étapes.
Encore et toujours 3.
Le profane a redécouvert les 4 horizons, en passant par le Nord, le Sud, le Septentrion et l’Orient. Les pieds bien sur terre, il va s’ouvrir au 3. Par la vision de la Lune, du Soleil et du Maître de la Loge, ou encore au centre : Sagesse, Force, Beauté. Triangles, 3, agissant comme forces ascendantes, comme dynamisme primordial incitant à lever la tête, afin que les yeux regardent autrement et se tournent vers l’essentiel. Vers le triangle sublime peut-être – 36° à la pointe et 2 fois 72 à la base – 36+72=108, nombre de l’homme et nombre de grains du chapelet bouddhiste. 36, nombre attribué au ciel, 72 à la terre. Inversé, le Triangle Sublime reste le reflet du premier, tel Héphaïstos le soleil caché. Igne Natura Renovatur Integra.
Les trois pas de l’Apprenti vers d’autres mondes
Continuant de s’élever, le regard, avec un peu de persévérance, finira par se noyer un jour dans la Voûte Étoilée, dans le cercle. L’initiation ne porte-t-elle pas en elle cette espérance, pour l’homme, de s’élever au-dessus de sa prison matérielle ? De s’en évader ? Et de s’interroger, comme le Trismégiste si « Dieu est un homme immortel, l’homme est un dieu mortel ». L’Initiation, par la seule force du symbolisme qu’elle véhicule, (et du nombre 3 en particulier), ne rend-elle pas secondaires les personnages – anthropomorphisme sécurisant ? – présents dans les mythes fondateurs ? À moins que ces derniers, ne fassent office de paravent à des ouvertures vers d’autres sphères ? Mais n’entrons pas dans un autre débat…
Pour nous contenter, en conclusion, de suggérer de revenir, sans cesse et encore, dans notre propre cabinet de réflexion, de reprendre, encore et toujours, les 3 pas de l’Apprenti, et avant toute prise de parole (ou toute entreprise d’action), de revenir encore dans le silence libérateur.
Alors, peut-être… un jour… à force de frapper… de demander… de chercher… une réponse personnelle nous parviendra, qui nous fera percevoir d’autres horizons… d’autres plans… d’autres espaces. Grâce au travail commun, à la fraternité qui nous lie et à l’apport de chacun.
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